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REVUE

NATIONALE

ET ETRANGERE

POLITIQUF, SCIENTIFIQUE ET LITTÉRAIRE

PUBLIÉE PAR M. CHARPENTIER

TOME PREMIER

PARIS AU BUREAU DE LA REVUE NATIONALE

19, RUE DE L'ARRRE-SEC, 19

1860

Réterra de ioui droits

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L'ÉTAT ET SES LIMITES

Tdêen Xli tinem yenwsh die Grenxm der Wirksamkeit des StoaU lu bêttimmen, Ton Wilhelm loa Bumboldt^ Berlin 185 1. Der Einfluesder hemchenden Ideen det 19 Jahrkundertt aiafden StcMt, TOD Baron Joteph EœUoBs; Leipiig, 1854. On Liberty ^ by John Staart Mill ; Loodoo, 1859. la Liberté, pv Julet Simon ; Paris, 1859.

Depuis que les méthodes d'observation ont renouvelé les sciences physiques, en nous montrant partout des lois générales qui règlent et expliquent Tinfinie variété des phénomènes, il s*est fait une révo- lution de même ordre dans les études qui ont Thomme pour objet. Que se proposent aujourd'hui la philosophie Thistoire, l'économie politique, la statistique, sinon de rechercher les lois naturelles et morales qui gouvernant les sociétés? Entre Vhcmime et la nature il y a sans doute cette différence, que l'un est libre tandis que l'autre suit une course inflexible, mais cette condition nouvelle complique le problème et ne le change pas. Quelle que soit la liberté de l'individu, quelque abus qu'il en fasse, on sent que Celui qui nous a créés a du faire entrer ces diversités dans son plan ; le jeu même de la liberté est prévu et ordonné. En ce sens il est vrai de dire avec Fénelon que l'homme s'agite et que Dieu le mène. Nos vertus, nos erreurs, nos vices, nos malheurs même, tout en décidant de notre sort, n'en servent pas moins à l'accomplissement de la suprême volonté.

'Découvrir ces lois qui régissent le monde moral, telle est l'œuvre que se propose le philosophe politique. Aujourd'hui on ne croit plus que Dieu,, mêlé sans cesse à nos passions et à nos misères, soit tou- jours prêt à sortir du nuage, la foudre en main, pour venger l'inno- cence et châtier 1^ crime. Nous avons de Dieu une idée plus haute; Dieu choisit son heure et ses moyens, non pas les nôtres. Yeul-il

6 REVUE NATIONALE.

nous punir ou nous ramener, il lui suffit de nous livrer à notre propre cœur ; c*est de nos désordres mêmes que sort Texpiation.

Si on n'attend plus de la justice divine ces coups de théâtre qui dénouent le-dniieed^ façon tierriblè et soudaine; eikx>re moini 8*ima- jgine-t'on qu'un grand homme paraisse subitement au milieu d'une société inerte, pour la pétrir à son gré, et Tanimer de son souffle, ainsi qu'un autre Prométhée. Le génie a sa place dans Thistoire, et plus large qu*on ne la lui mesure de nos jours, mais le héros n'arrive qu'à son heure ; il faut que la scène lui soit préparée. Â vrai dire, ce n'est qu'un acteur favori qui joue le premier rôle dans une pièce qu'il n'a pas faite. Pour qiie César soit possible, il faut que la plèbe romaine, avilie et corroaipue, en soit tombée à denutnder un maître. Â quoi bon la vertu de Washington, si le général n'eût été compris et soutenu par un peuple amoureux de la liberté?

On sent cela ; mais par malheur la science est nouvelle et mal établie. Rassembler les faits est une œuvre pénible, et sans éclat ; il est plus aisé d'imaginer des systèmes., d'érigé un élément particalier en principe, udiversel, et de rendre, raisoa de tout par un mot. Be Iki ces brillantes: théories qui poussent et tombent ea une saitoo ! influence delaraceotidu<dimat, loi de décadeoce, de retour, d'oppo- sition, daprogrès. Bien de plu» ingéaieux que lesidées de Vioo, de, Herder, de Hegel ; mais il esVî trop évident que malgné des partier solidesi, ces constructioas* ambitieuses ne r^iait.sur rien. Antres vers de ce&focces fatales-qui entraînent l'humanité viers une dtslmée- qu'elle ne peut fuir,rOii [daoer la lib»^? Quelle part d'action' et dt*^ responsabilité re8le4i-ii à. Tindividu? On: dépense beaucoup à'esptii^ pour tourner le problème au lieu^le le réseodre;^ maie qu'impertèntl ces poétiques chimèpes? la seulechose qui nous intéresse est Iv-seule qu^on ne nous dise pas».

Si. l'on veutéorire une philesophia da L'histoive que puisse 9mwt la science, il faat changsp de méthode et mveair à robservation. H^ ne suffit pas d'étudier les événements: qui ne sent que des effets, il- faut étudier les idées qui ont amené ces événements, car ces idées* senties causes, ei c'est que paratt la Utaié.. Quand on' aura? dressé la généalogie des idées^.q^and ob saura >qiielib éducation chaque siècle a reçue y oomment il a corrigé et onnplété l'expérience dey ancêtres, alors il sesa possible de; conprendns la course du passée peai*^tre même de pressentir la. marche de l'avenir..

Qu.'on ne.s!y tsompe: pas^ Lai vie des.' sodétés^ ooiame celte des'

L'ÉTAT ET SRS LIHITBS, 7

individus, est toujours régie et détermiuée par certaineB opinions, par une certaine foi. Alors même que nous n'en aTons pas conseienee^ nos actions les plus indiCEerentes ont un prindpe arrêté, un fonde* ment solide. C'est ce qui explique l'universelle influence de la rdigîon. Si l'on prend un homme au hasard, ce qui frappe à pre- mière vue, c'est son égoîsme et ses passions j peut-être même en toute sa conduite n'aperçoit-on pas d autre mobile ; si l'on prend toute une nation, on voitqu'au-^dessousde ces passions individuelles quisecon- trarient et se balancent, il y a un courant d'idées communes qui finit toujours par l'emporter. Ouvrez l'histoire ; il n'est pas un graai peuple i qui n'eût été le porteur et le représentant: d'une idée. La' Grèoe n'iest-ellepa» la patrie des arts et de la philosophie, Rome le modèle du gouvernaiient et de la politique, Israël l'expression du mono» théisme le plus pur ? Aujourd'hui, qu'est-ce qui représente pourmms la science^ n'est-cepas l'Allemagne? l'unité, nW-ce pas la France? la liberté politique, n'est-ce pas l'Angleterre? Voilà une de ces vérités évidentes qui s'imposent à la science, et qu'ilJuiifaut examiner.

Faire i'histoirp des- idées, en .suivie f^s à pas la< naissance^ le dév^ loppement; chute ou ila> transformation, c'est aujourd'hui Tétude la pliis nécessaire, celle qui chassera de Thistoire ce nom de hasard - qui n'est queTexcuse de notre ignorance i Ainsi obs^vées^ la reli- gion, la politique, la science, les lettre», les arts ne sent plus quelque cbosed'extérîenr, l'objet d'une noble curiosité, c est une part de nous- mêmes, un élément de nob*e vie morale. Cet élément, nousiravonsrreçu de ti09pèresr comme le «lo^ qu'ils nous ont <knné; le r^ter est impossiUè ; ,1e niodifier, voilà notre couvre 4e chaque joUn C'^st le : règne de la libertés

Gés altérations qui se» fontipeo à peu par l'efibrt de l'esprit bomain, . c'est 4e'plas curieux* et< le plus utile spectacleque nous^offrerhistoire^ Les géhératioBS' sont entraînées par certains courants' qui j partis d\me foiUlé origine, giDssfssentilentement^ puis s'épandentau loin, etaprëis avoir tout couvert du bruit de leurs eaux, s'affaiblissent et se perdent comme le Rhin en des sablessans nom. Cherches IVmgine de lâr*réfoniie, il vous faudra Tementer en tâtonnant jusque dans la nuit dti moyeer'^e ; mais au temps Widef et ide Jean Hus, on entend lldée qui monte et qui gronde, prêle à^ tout^renversér. Deax sièetes; après:Lutber le fleuve est rentré dans «on lit ; dècettè furie religieuse qni a bouleversé l'Europe il ne resteque des querelléede théologiens ; c>èftt à' d'antres désm^ que * Vbumamté s'abandonoe. coounence

8 REVUE NATIONALE.

ce -violent amour d^égalité qui triomphe avec la réyolution fran- çaise? nul ne le saurait dire, mais longtemps avant 1789 on sent le souCQe de Torage, on voit tomber pierre à pierre cette société décré- pite, que ne relie plus ni la foi politique ni la foi religieuse ; chaque jour précipite la ruine qui va tout écraser. Ce vieux chêne féodal, à Tombre duquel tant de générations ont grandi, qui le fait éclater? une idée I

Ces forces terribles qui changent la face du monde, ne peut-on les suivre que dans Thistoire? Faut-il que Texplosion les ait épuisées pour qu'elles nous livrent leur secret. Quand l'idée est toute vivante n'en peut-on mesurer la puissance? est-il impossible d'en calculer la courbe et la projection? pourquoi non? L'humanité n'a-t-elle pas assez vécu pour se connaître elle-même? Qui empêche de constituer la science morale à l'aide de l'observation ? En viendra-t-on à la découverte de lois certaines, flnira-t-on par prévoir l'avenir? oui et non, suivant le sens qu'on attache au mot de prévision. L'astronomie nous annonce à jour fixe une éclipse qui n'aura lieu que dans un siècle, elle ne peut nous dire quel temps il fera demap ; elle connaît la marche fixe des corps célestes, les phénomènes variables de l'at- mosphère lui échappent. Ainsi en est-il de la science politique. Elle ne vous dira pas ce que la France fera ou voudra dans six mois ; il y a dans nos passions une inconstance qui défie le calcul ; mais peut- être TOUS dira-t-elle avec assez de vraisemblance ce que la France ou l'Europe penseront dans dix ans sur un point donné.

Cette assertion, même atnsi réduite, paraîtra sans doute téméraire; j'en veux faire l'expérienoft.à mes dépens. Au risque de passer pour faux prophète, je me propose d'étudier une idée qui, méconnue au- jourd'hui, réussira, selon mdi, dans un prochain avenir. Cette idée, qui du reste n'est pas . nouvelle , mais dont l'heure n'a pas encore sonné, c'est que l'État, ou si l'on veut la souveraineté, a des limites naturelles finit son pouvoir et son droit. En ce moment, si l'on excepte l'Angleterre, la, Belgique, la Hollande et la Suisse, une pa- reille idée n'a point de cours en Europe. L'État est tout, la souverai- neté n'a pas de bornes, la centralisation grandit chaque jour. A ne considérer que la pratique, jamais l'omnipotence de l'État n'a été plus visiblement reconnue; à considérer la théorie, cette omnipotence est sur le déclin. Tandis que l'administration avance de plus en plus, la science combat cet envahissement, elle en signalé l'injustice et le danger. Combien de temps durera cette lutte? il est difficile

L*ÉTAT ET SES LIMITES. * 9

de le dire ; mais il y a une loi pour les intelligences, et il est per- mis de croire sans trop de présomption que si aujourcTbui une mi- norité d*élite combat pour la vérité, cette minorité finira par avoir avec elle le pays tout entier. -

Pour connaître à fond l'idée régnante, l'idée que se font de l'État eeux qui, en Europe, sont à la tête des affaires, il faut rechercher comment cette idée s'est formée, car elle a une généalogie, elle est fille des siècles, et c'est justement parce qu'elle a grandi peu à peu qu'elle vieillira de même. Son passé nous répond de l'avenir.

Chez les Grecs et chez les Romains (ce sont nos ancêtres politiques), l'État ne ressemble qu'en apparence à nos gouvernements modemes.j Il y a un abime entre les deux sociétés. Chez les anciens , point d'industrie, point de commerce, la culture aux mains des es- claves; on n'estime, on ne considère quelp loisir; la guerre et la poli- tique, voilà les seules occupations du Romain. Quand il ne se bat pas au loin, il vit sur la place publique dans le perpétuel exercice de la souveraineté; c'est une fonction que d'être citoyen. Électeur, orateur, juré, juge, magistrat, sénateur, le Romain n'a et ne peut avoir qu'une vertu : le patriotisme; qu'un vice : l'ambition. Ajoutez qu'il n'y a point de classe moyenne, et qu'à Rome on trouve de bonne heure l'extrême misère près de l'extrême opulence , vous comprendrez que chez les anciens la liberté n'est que l'empire de quelques pri- vilégiés.

Sous un pareil régime, on n'imagine point que personne ait des droits contre la cité ; TÉtat est le maître absolu des citoyens. Ce n'est pas à dire que le Romain soit opprimé ; ma^ s'il a des droits, ce n'est pas enjsa qualité d'homme, c'est comme souverain. Il ne songe pas à une autre religion que celle de ses pères ; le Jupiter Capitolin peut seul défendre les enfants de Romulus. La pensée n'est pas gênée, car on peut tout dire sur le Forum; la parole est publique, l'éloquence gouverne* La liberté n'est pas menacée, qui oserait mettre la main sur un citoyen, fût-il en haillons? On pousse si loin le respect du nom romain, que lai peine s'arrête devant le coupable. Que le condamné abdique, comme un roi qui descend de son trône, qu'il se fasse inscrire en quelque autre cité, la loi ne le connaît plus, la vengeance publique est désarmée.

U est peu nécessaire de juger ces antiques constitutions, elles n'ont pour nous qu'un intérêt de curiosité ; nous avons d'autres besoins et d'autres idées. Une société industrieuse et commerçante a mieux à faire qu'à passer des journées oisives au forum ; la vie publique n'est

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plus qu'une faible part àe notre exislenoe; on est homme avast d*éire citoyea, et si le^ modernes ont une pràention politique, c'est moinft as gouverner par. eux*mêmes que de œntr^er le gouTeraeinent, D'un: autre côté, rimprimerie a détruit l'importancede la place publique» elictéé une. force autrement redoutable qu'une œntaine de pléb^eni ntfisembléft autour de la tribune ; c'est Topinion, élément insaisissable, jA avec lequel cependant il faut compter.* Enfin la religion n'est pas pour nouât une YQÎne cérémonie, ellenous-impese des devoirs et nous donne des* droits sur lesquels l'État n'a point de juridiction. L!imi— tatîo& de l'antiquité ne peut donc que nous égarer; nos pères en^ont faîti la. rude erpériraee quand: des législateurs malhabiles ont essayé do les travestir toiu* à tour en Spartiates et en Romains; mais peut- fttie nous-reste-t-ilde cet antique levain plus- que ne le comporte noire société.

Tanè que Rème fut une république, c'est-à-dire une aristocratie toute-puissante, cette noblesse qoi jouissait d^une liberté souveraine ne sentit pas le danger de sa théorie de l'ÉtaL Cette poignée de pri- vilégiés piUaiile: monde sans se soucier de la servitude qu'elle ré- pandait aui dehors, . de la corruption qu'elle semait au dedans ; maia quand le peuple oit appris à se vendre, il suffit d'une main hardie pour en finir avec le nx)nopole deq[uelques grandes familles ( sous^ pression de la servitude univecselte, la* liberté romaine fut éerasée; tout fut province, il n'y eut plus dans le monde d'autre loi que la volottté doil'^npereur.

Ce qn'était ce despotigme, qoi embrassait tout*^ et auquel on m pouvait échapper que par-là ^mort^ il nousest difficile de l'imaginer,, nous qui vivons' au milieu d'une civilisation adoucie par le christia^ nismejeti tempérée par le voisinage d'autres peuples libres et chré^ liens. Tout'était dans la main de l'empereur, arnu^, finances^ aémi- niitmtion, justice, religion, éducation, opinion, tout jusqu'à' Ir propriété et à«la viedu moindre 'citoyen. Aussif ne faut-il pas s'étonner queide benne heurelësBomains aient adoré Tempereur. Vivant, c'est' un Mimm, une divinité protectrice; mort', c^st un ' Z>tt?t/^j un* dé» géoieitutélaire9<lerempinBf: Danslèliuigage'delti chancellerie, cette' main qui seellè les' loi» est cIMne; les'parolës Fèmpereursont^S' ùMcks'; dansées tithesfNmipeux', ce souverain d'un jour ne laisse même pwà^'lttea'sonéteniflé.

Consient gouvernait l'empereur? par lui-même 'soua Wpremien' Géears^ oamme on en peut juger par les leU^es de Trajan à Pline*,

L'ÊXAT ET SBS LUITES. M

plus tard^ à mesure qnetles deraièresliberiésinuniofpalësVévancmb^ .sent, c'est radministratioa^ ce sont les buteaus qui peusetit et agi»^ se&i.pour le monde entier. Qui étudie les inscriplions, qui ouvre le oode de Théodose ou celui de Justinien, se trouve en face d'une cen» tralisationquiiva toujours-en gramlissant, jusqu'à eeqti^elle ait'étôufié , laseoiété sousson effroyabk tutdle. Si l'<miveut sefair^ . de C6:que pouvait être l'empire au moment de 1-invasion barbare, que^ l'on eonsidère la: Chine d'aujourd'hui. On^ y appr^dra comment; par rexoès même du gouvernement, les* règles les plus sages ^ appl^ quées*par des magistral; intelligents, peuveoti en-^quelques sièoie» énerver un peuple obéissant et le mener à l^esclàvage et^à'la^ mort.

Parmi les cause» de la deeadence impériale, il faut placer, et non* pas- au dernier rang, la fausse idée que les Romains^ se faisaient' de l'État. C'était . Tantique notion de la' souveraineté populaire. En théorie la; république duraii toujours^ le prince n'était que le" représentant de la démocratie, le tribun perpétuel de la plèbe. Quand leB'juriseonsultes dU troisième siède étudient le pouvoir Temp^ reur, ils en arrivent à cette condusion : que la volonté du' prince* a' force de loi; Quod prinnpi placmt le^$* habet- viijorem'; la'raison' qu'ils en donnent esl que* le peuple loi a transmis tous ses pou- voirs. G'esi ainsi que de l'extrême liberté ils iirent Tèxtliftme servitude;

Contre cette théorie qui les écrasait^ on ne voit pas queues Rbmainr aientjnmais'protesté. Tacite regrette la république, et' félicité Trafjau' d'avoir mêlé deux choses qui, à Rome, n'allaient guère de compagnie, le principal et la liberté; mai» il nUmagine pas qu'on puisse limiter' la. souverainetés Des magiMratures divisée», anmieliés et respon^ sables, voilà tout ce qpivavait imaginé la sagesse des anciens; c^^étaitl une garantia politique qui protégeait rindépendance du citdyeir; Ur gaiantieidétiNiite, tout fut perdu et sans nstour.

Pour introduire dan» le mmide unef meFÎHeare* notion de TÉtat, il' ftUut une religion nouvelle; C'est VÉvangilè qui a renversé les idées' antiques; et qui par cela même a ruiné 1 -ancienne société et créé les temps nouveaux. «Rendez à César ce qui est à Césaret à'Dieu cequi- eitàiDieuii'est un^aidàge que nousrépétons'smivent^ sans nous douter qua dans cette maxime aujourd'hui vulgaire il y avait' un démenti deanéà la politique romaine, une déchrationde guerreau despotisme impérial. régnait' une' violenter unité, le Christ' proclamait la s^Mtfatioa; désormais^ dans" le même honmieil fâtloit dlstingner le

12 REYUE NATIONALE.

citoyen et le fidèle, respecter les droits du chrétien, s'incliner devant la conscience de Tindividu^ c'était une réroiotion.

Les empereurs ne s*y trompèrent pas, les grands empereurs moins que les autres. De le caractère des persécutions, caractère qu*on n*a pas assez remarqué. C'est au fanatisme, c'est à la cruauté des princes qu'on fait remonter la caust des persécutions; rien n'est moins vrai : le crime fut tout politique. Ce fut au nom de l'État, au nom de . la souTeraineté enfreinte et des lois violées qu'on emprisonna et qu'on tua les chrétiens. Oté ce monstre de Néron qui livre les pre- miers fidèles au supplice pour détourner la haine populaire sur une secte méprisée, quels sont les empereurs qui persécutent? Est-ce Commode? il est entouré de chrétiens; est-ce Héliogabale ? il ne pense qu'à sa divinité syrienne ; est-ce Caracalla? il n'y a guère de martyrs sous le règne du fratricide. Ceux qui versent le sang des chrétiens, ce sont les princes les plus sages, les plus grands administrateurs, Trajan, Marc-Aurèle, Sévère, Dèce, Dioctétien. Et pourquoi ? c'est qu'ils veulent maintenir à tout prix l'unité de l'État; or, cette unité est absolue ; elle comprend la conscience comme le reste ; il lui faut l'homme tout entier. Quels reproches fait-on aux chré- tiens? ce sont des athées, des ennemis de l'État, des séditieux en révolte contre les lois. Ces accusations nous semblent aussi puériles qu'odieuses, les Romains les trouvaient justes; à leur point de vue ils avaient raison. Les chrétiens étaient des athées au sens des lois romaines, puisqu'ils n'adoraient pas les dieux de la patrie, et que pour les anciens il n'y en avait point d'autres; ils étaient des ennemis de l'État, puisque toute la police de l'empire reposait sur la religion et l'absolue soumission du citoyen; c'étaient des .séditieux, puisqu'ils se réunissaient secrètement au mépris des lois jalouses qui défendaient toute espèce de collège ou d'association. Les reproches que les païens adressaient aux chrétiens sont ceux-là même que sous Louis XIV on faisait aux protestants. Dans une société, qui par l'idée de l'État se rapprochait de la société romaine, les protestants étaient aussi des gens qui méprisaient la religion nationale, qui bri- saient l'unité de gouvernement, qui se réunissaient malgré la défense des lois; c'étaient d'abominables séditieux que le juge envoyait aux galères sans douter de leur crime. Les premiers chrétiens, les protestants du dix-septième siècle avaient-ils raison de ne point obéir à la loi politique? Je réponds oui, c'était leur droit et leur devoir; ils suivaient l'ordre que leur donnait TÉvangile.

L'ETAT ET SES LIMITES. 13

Mais ce devoir et ce droit, les magistrats, romains ou français; ne le comprenaient pas; il en sera ainsi chaque fois que TÉiat, tirant tout à soi , ne voudra rien reconnaître en dehors de sa souveraineté ; Bionarchie ou république, ce sera toujours la tyrannie.

A vrai dire^ cette conception de FÉtat était si générale et si forte, que les premiers chrétiens ne se révoltent qu*à demi contre la loi qui les écrase; ils n*ont même pas Tidée d*une réforme politique qui leur ferait une place dans l'empire. Tout ce qu'ils demandent, :' c'est qu'on ferme les yeux sur leurs paisibles réunions , c'est qu'on les tolère , de la même façon qu'on a toléré les juifs au moyen âge, comme un peuple inférieur dont l'État ne s'inquiète pas. Tertullien est convaincu que si l'empire romain venait à tomber, le monde fini- rait; il lui est plus facile de croire au bouleyersement de toutes choses qu'à la transformation de ce gouvernement qui l'opprime. Origène est, je crois, le premier, qui, avec la hardiesse et le génie d'un Grec, ait envisagé d'un autre. façon l'avenir; lui seul en son temps osa prévoir que le christianisme pourrait devenir la religion universelle sans que la terre et les cieux en fussent ébranlés ^

C'était un de ces éclairs qui passent et s'éteignent dans la nuit. Personne ne releva l'idée d'Origone, personne ne mit en doute l'éier- nité de l'empire. La souveraineté de l'Étal n'était pas un article de foi politique moins arrêté ; cette idée avait jeté de si profondes racines que le christianisme n'en put triompher; a vrai dire, l'Église ne l'essaya même pas. Lorsque Constantin, qui devait aux chrétiens une part de sa fortune , associa TÉglise à sa puis- sance, il n'y eut guère qu'Athanase qui eut je ne sais quelle noble inquiétude, et qui s'efiraya de voir des magistrats poursuivre violemment Thérésie. Les évêques entrèrent avec joie dans les cadres de Tadministration impériale; ils prirent aux pontifes païens leurs privilèges, leurs titres, leurs honneurs, comme ils prenaient au paganisme ses temples et ses fondations; rien ne fut changé dans l'État, il n'y eut que quelques fonctionnaires de plus , et au-des- sus d'eux l'empereur, espèce de Janus religieux , grand pontife des païens, évêque extérieur des chrétiens. Qu'on me comprenne bien ; autant que personne je reconnais que le christianisme a fait une révolution morale, et la plus grande qu'ait vue le monde; l'Évangile a répandu sur la terre une doctrine et une vie nouvelles; nous en

i. Origène, Contre Cehe, VIII, 68.

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fÎToos depuis dix^hnit siècles, et je ne vois pas que cette céve divine t'afiaiblisse; tout; ce cpie je reux dire, c*est qu*au quatrième siède, l'Église, la hiérarchie, prit dans l!£tat la place de l'ancien pontifi- cat païen, avec quelques prérogatives de plus. Lesévéques furent bientôt de vrais officiers publics, impecteurs des magistrats, défen- ieurs des cités , protecteurs des pauvres et des opprimés; parfois •nssi sujets plus que dévoués et agents itrop dociles du divin empe- reur. Qu'on ne m'oppose pas Ambroise: repoussant du :parvis: de son église Théodose encore tout sanglant d'une vengeance abominahte^ tous les évéques n'étaient pas des Ambroises ni des Athanascs; avwt même d'être baptisé, Constantin rougissait de l'indiscrète et sacrilég» flatterie d'un évéque, qui publiquement ne craignait pas de comparer l'empereur au fils de Dieu ; cet évéque ne laissa que trop de suo* œsseurs.

Était-ce bassesse d'âme, ambition vulgaire ; n'était-ce pas l'excès ^'un respect religieux pour l'empereur? Les évéques ne voyaient-ils pas dans le chef de l'État un agent divin, un représentant de Dieu sur la terre? Ce sentiment n'expliquerait-il point, sans le justifier, un dévouement qui trop souvent alla jnsqu'à la servilité? C'est à cette tq>inion que j'incline; autrement, comment comprendre cette étroite •liaison de Tépiscopat et de la royauté qui a duré jusi]u'à nos jours? Sossuet ne va guère moins loin que les évéques de Byzance, cepen- dant ce n était pas -une âme ordinaire. Au fond, c'est la vieille idée de la souveraineté de TÉtat qui a pris un déguisement chrétien. Pourvu que le prince serve l'Église et défende les saines doctrines, tout lui appartient, 1 ame aussi bien que le corps de ses sujets. Sous ce masque, on reconnaît l'idolâtrie païenne, le mépris de la conscience et l'adoration de l'empereur. Veut-on savoir ce qu'une pareille 'théorie emportait de danger pour la religion,- que l'on voie ce que 'devint l'Église grecque. De Constantin à Justinien, la législation ne ^ange pas d'esprit, l'empereur ne fait rien sans consulter les évéques qui emplissent sa cour; en arrive-t-on? à la servitude de TÉglise, servitude qui ne s'est jamais relâchée et qu'aujourd'hui on peut étu- dier en Orient, et mieux encore à Moscou.

Tandis que l'empire étend chaque jour cette administration qui répuîse, les barbares s'approchent, et sont bientôt au cœur des pro- vinces. Des bandes farouches ont facilement raison d'une société qui, depuis longtemps désarmée par la jalousie de l'État, n'a même plus le désir de se défendre. Ces barbares apportent avec eux une idée

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nouvelle, qui fait leur force; ils ont un souverain mépris pour cette prodigieuse machine ({ui charme les modernes. Us ne comprennent rieii au p^ple qu'ils défendent ou qu'ils pillent. Pour le Romain^ l'État est tout, le citoyen n'est rien ; pour le Germain, TÉtat n'est rien, l'individu est tout. Chaque chef de iamille s'établit il veut, u/ fms, ut nemtis piacuit, gouverne sa maison comme il l'entend , reçoK la justice de ses pairs ou la leur rend, s'enrôle en guerre.«ous le chef qu'il dioisit, ne reconnaît de supérieur que celui à cpii il se donne, ne paye d'impôt que s'il le vote/ et pour la moindre injustice en appelle à Dieu et à sonépée. C'est le renversement de toutes les idées romaines, c'est le contre-pied de la société impé- riale. Chez les Germains une prodigieuse liberté, une sécurité mé- diocre; chez les Romains une sécurité très-grande, sauf la crainte du prince et de ses agents, une police yigilanie et inquiète, point de liberté.

Cette fière indépendance dura plus d'un jour. Quand le Germain se (Vit établien maître dans les provinces que lui abandonnait la fai- blesse impériale, il façonna la propriété à son image, et la voulut libre comme lui. Sous les deux premières races, quelle est l'ambition des grands et de l'Église qui, elle aussi, devient un pouvoir barbare? c'est d'obtenir une immunité, c'est-à«clire le droit de gouverner sans con- trôle un domaine peuplé de nombreux vassaux. La justice, la police, •l'impôt tiennent à la terre, et la suivent en toutes mains. La féoda- lité n'est que ta Ooraison de ce système; c'est la confusion de la pro- priété et de laisouveraineté. Chaque baron est maître de sa terre, chef dans la guerre, juge dans la paix. C'est envers lui seul que ses vassaux ont des devoirs, seul il est obligé envers le suzerain ou le roi. Nous voilà bien loin de remprre. Plus de centralisation, plus d'unité, une hiérarchie confuse ; à chaque échelon, des droits différents, des engagements divers; le contrat partout, nulle part rÉtat. Aucune administration, point d'armée, point d'impôt; rien qui ressemble ni au système romain, ni à notre moderne société.

Cependant il ne faut pas prendre cette confusion pour l'anarchie; l'anarchie ne dure pas cinq siècles; quel peuple la supporterait aussi longtemps? Si odieuse que la féodalité soit restée dons l'histoire, il ne faut pas non plus lui attribuer toutes les misères du temps. C'est une erreur trop commune que de s'en prendre à une institution tombée, et de rejeter sur elle tous les vices et toutes les souflranccs ; rien ne prouve que le servage n'eût pas été aussi rude sous une royauté sans

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limites. Les colons romains n'étaient pas moins foulés que les serfs du moyen âge ; la fiussie nous montre des paysans esdaves sous une noblesse impuissante et un empereur absolu. Tout au conti^ire, rÉtat les barons prirent le dessus, l'Angleterre, fut aussi le pre- mier pays s'a£Eaiiblit et disparut la servitude. Il y avait donc dans la féodalité autre chose que le despotisme des seigneurs, il y avait une sève énergique ; cette sève qui se cachait sous le privilège, c'était la liberté. Autrement, comment expliquer cette floraison du treizième siècle qu'on ne peut (ibmparer qu'aux plus beaux âges de rhistoire?Un art nouveau naît et s'épanouit, les poètes chantent et transforment des patois vulgaires en des langues qui ne doivent plus mourir; la France, l'Allemagne, l'Angleterre, se couvrent de cathédrales, de monas- tères, de châteaux. Bien aveugle ou bien injuste qui dans ce renou- vellement de toutes choses ne reconnaît pas la seule force qui régénère l'humanité. ^

Toutefois, l'esprit germanique ne suffit pas pour rendre raison de cette renaissance ; il faut faire une grande part à l'Église, véritable mère de la société moderne ; mais cette Église, à qui nous devons ce que nous sommes, ce n'est plus l'Église impériale, c'est une Église transformée, et si je puis me servir de ce mot, germanisée.

En effet, quand les barbares eurent brisé l'empire, ils se trouvèrent campés au milieu d'un peuple qui n'avait ni leur langue, ni leurs idées, ni leurs mœurs. Entre les vainqueurs et les vaincus il n'y avait qu'un lien commun, la religion. Ce fut l'Église qui rapprocha et qui fondit ensemble ce qu'on nommait la civilisation et ce qu'on nommait la barbarie ; deux États relatifs, et alors moins séparés que jamais.

Ce rôle tutélaire de l'Église explique l'influence qu'elle eut sous les deux premières races, et qu'elle conserva durant le moyen âge. Émancipés par la chute de l'empire, les évêques se trouvaient à la fois chefs des cités, conseillers du roi germain, dépositaires de la tradition romaine, aussi puissants par leurs lumières que par leur Icaractère sacré. Tout les soutenait, l'amour des vaincus, le respect (des conquérants, le courant des idées. Dès le premier jour de l'in- jvasion, l'Église, ressaisie de son indépendance naturelle, suivit une politique qui lui livra le monde. Ce fut, toute proportion gardée, la politique romaine appliquée au gouvernement des esprits. Et d'abord l'Église n'entendit plus se soumettre aux autorités de la terre, mais elle ne s'en tint pas là. Portée par l'opinion, Rome, d'auxiliaire se fit maîtresse, et rêva de s'assujettir le pouvoir temporel, non pas

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toutefois qu'elle youlût régner par les prêtres, la fierté germanique ou féodale y eût résisté : tout ce que demandait un Grégoire VU ou un Innocent III, c'est que les rois s'avouassent vassaux spirituels, fils obéissants de TÉglise, et lui reconnussent le dernier ressort.

Dès lors il y eut une conception de l'État toute difierente de l'idée romaine , deux puissances se partagèrent le monde, et ce ne fut pas à la force brutale, mais à l'autorité religieuse, c'est-à-dire au pouvoir moral et intellectuel qu'on assigna la suprême direction des affaires humaines. Clovis aux genoux de saint Remy, Cbarle- magne couronné par le pape, rendaient hommage au droit nouveau. Désormais la religion était en dehors et au-dessus de TÉtat. C'est la première et la plus grande conquête des temps modernes, elle nous a délivrés de la divinité des empereurs, cette honte du peuple romain. .^ Sans doute TËglise et l'État ont souvent noué une alliance dont la conscience a été victime, mais du moins n'a-t-on jamais vh un prince qui, en vertu de la souveraineté, s'attribuât le droit de régler la croyance et d'imposer la foi. Ce n'est pas comme César, c'est comme fils aine de l'Église que Louis XIY persécutait les protestants; il s'in- clinait devant l'Évangile en le vbtant. La loi même dont il se récla- mait déposait contre lui et réservait Tavenir.

L'Église barbare comme l'Église féodde prit au sérieux ce gou- vernement des esprits qufi l'opinion lui déférait. 11 lui fallut l'âmef tout entière des générations nouvelles, elle ne laissa au prince que le corps. Foi, culte, moralf, éducation, lettres, arts, sciences, lois civiles et criminelles, tout fut en sa main. C'est de cette façon que le moyen âge résolvait la difficile question des limites de l'État.

Ce partage entre le pouvoir temporel et l'Église n'était-il qu'un despotisme à deux têt^? Non, l'Eglise fut longtemps libérale, et, l'hérésie mise de côté,, ne s'efiraya pas de la liberté. Rien de plus libre, par exemple, que cette turbulente université de Paris, l'on accourait de toute l'Europe pour remuer les problèmes les plus témé- raires. En un temps le doute n'était que la maladie de quelques âmes aventureuses, comme celle du malheureux Abailard, cette liberté, il est vrai, offrait peu de dangers; on peut tout discuter quand les solutions sont connues d'avance; mais ne soyons pas injijstes envers l'Église, c'est la liberté qu'elle croyait donner, l'opinion ne lui demandait pas plus qu'elle n'accordait. Â tout prendre, au temps de Gerson, renseignement était plus hardi qu'au temps de Bossuet,

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et runiyersité plus indépendante qu'on ne le permettrait ai^ur- dTiuî.

La féodalité n^avait pas étouffé les idées romaines, il y eut àèê Torigine une sourde réaction contre les abus et les violences de la conquête; plus tard^ contre le pillage des barons. Sous le règne de Philippe le Bel, la réaction est victorieuse, le droit romain est sorti de la poudre ; c'est avec le Digeste et le Code que les légistes com- mencent à miner les libertés féodales. Leur idéal, c'est l'État romain, c'est l'unité et l'égalité sous un chef qui ne relève que de Dieu. Une foi, une loi, un roi, c'est leur devise; le roi de France, disent-ils, est empereur en son pays;. ils ODt traduit à son profit la maxime impé- riale, guod principi j)lacuit legis habet vigorem : Si veut le aoi|

SI VEUT LA LOI.

La guerre contre la féodalité dura plus de trois siècles. Le peupb opprimé y soutint vaillamment ceux qui prenaient sa cause en main; mais tandis qu'en Angleterre les barons, pour défendre leurs privi- lèges, y associaient le pays et tiraient des coutumes nationales tout ce qu'elles pouvaient contenir de libertés, les rois de France se conten- tèrent d'accorder au peuple qui les avait appuyés ces garanties civiles que tout pouvoir absolument donner sans s'aflaiblir. Philippe le Bel et ses successeurs abattirent les barons et réduisirent à TobéissaDce ces tyrans subalternes, mais ce fut pour employer à leur seul pro- fit toutes les forces de la France. L'égalité y gagna, mais non la liberté.

Ce serait une trop longue histoire que de suivre cette lutte perpé- ^tuelle de la royauté contre le vieil esprit d'indépendance. L'habileté, ;la force, la ruse, les armes, les lois, les jugements, rien ne fut épar- gné pour reconquérir la souveraineté, pour reconstruire pierre à Ipierre l'édifice impérial. Soumettre au roi les châteaux, les villes, les campagnes, contraindre les têtes les plus fières à plier sous le joug commun, préparer l'unité législative, agrandir l'administration, centraliser le gouvernement, ce fut le travail constant de nos rois et de leurs conseillers. Les princes changent, non pas la tradition; Charles V et Louis XI, François I" et Henri IV, Bichelieu et Louis XIV poursuivent une même pensée: établir l'unité par le des- potisme de l'État. L'idée était grande, le moyen excessif; on peut le demander il menait la France. Admirer en bloc Tœuvre de nos rois, comme l'a fait longtemps Técole libérale, c'est pousser trop loin l'amour de l'uniformité. Nous avons payé assez cher les fautes du

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poutoir absdu pour qu^il nou^soit permis de critiquer cette politique 4 outrance, qui, après amr tout nivelé, n'a pas même pu maintenir h monarchie.

Ce n*est pas qu'on puisse regretter la chute de la noblesse féodale; W barons -ne défendirent que leurs privilèges, et ne firent rien pour lee libertés natianale^. Leur égoïsme les perdit. La noblesse française -a de brillants souvenirs; elle était brave et chevaleresque, mais >eUe n'eut jamais d'esprit politique, et courut à Versailles pour y "«ollictter, comme un- honneur, la domesticité royale. Ce n'est pas ainsi que dure une aristocratie.

Quant au clergé, il semble quil aurait pu jouer un autre rôle, et mieux lésister aux empiétements de la royauté. Au quinzième siècle, parmi les misères du schisme, TÉglise gallicane est toute vivante ; dans les conciles de Bâie et de Constance^ l'Europe n'écoute que des prélats et des docteurs français; l'université de Paris est l'honneur et je rempart de la chrétienté. Un siècle plus tard, tout est éteint. Le